L’Opus Dei au peigne fin

3 jun 1995 :: Jota unum, di Bénédicte Dem

Vittorio Messori n’appartient pas à l’Opus Dei. C’est en qualité de journaliste qu’il est parti sur les traces de la Obra. Une enquête de première qualité, qui démarre sur une question de grand reporter : pourquoi n’est-il jamais donné de nom religieux – ce qui serait si commode pour enquêter – aux établissements tenus par cette institution religieuse ? Hôpitaux et écoles hôtelières dirigées par les membres de la Prélature sont souvent nommés du nom de la rue dans laquelle ils se trouvent.

H Prélature personnelle », encore un mot justement qui sort du paysage spirituel ordinaire. Il désigne le statut qu’a obtenu l’Opus Dei en 1982, soit sept ans après la mort de son fondateur Mgr Josemaria Escrivà. un statut unique dans l’Eglise catholique, qui donne à l’Oeuvre l’autorisation officielle et juridique de mener des actions apostoliques et missionnaires sans limitation géographique. Ajoutons à cela la dénomination incolore des membres : numéraires, surnuméraires, agrégés… Il ne fallait pas plus de motifs d’accusation pour soupçonner l’Opus Dei d’être, au choix, une société secrète, une oeuvre occulte, une Eglise parallèle ou une franc-maçonnerie blanche.

Car on tout dit sur H la pieuvre espagnole » qui compte actuellement 1500 prêtres pour 80000 membres laïcs et qui inspire rarement des sentiments mitigés.

II y a les adeptes et sympathisants qui ont pris pour argent comptant la mise en garde du fondateur: « Que celui gui, poussé par une vocation, frappe a notre porte, sache que l’oeuvre demande beaucoup (désintéressement, sacrifice, travail incessant au service des âmes), et ne donne rien sur le plan des intérêts personnels ». Il y a l’extraordinaire mobilisation d’un tiers de l’épiscopat mondial en faveur de la béatification de Mgr Escrivà, le succès inchiffrable d’un petit livre disponible depuis 1939: le Camino (le chemin), traduit jusqu’en quechua ou en tagalog et qui guide le lecteur sous forme de 999 pensées brèves et à la deuxième personne du singulier, vers la spiritualité catholique la plus classique.

Et puis il y a les attaque féroces contre l’Oeuvre, que l’on note aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Eglise catholique. L’hostilité construite, comme celle dont fit preuve le sociologue espagnol Alberto Moncada lors d’un congrès international intitulé K Sectes et groupes totalitaires H tenu à Barcelone en avril 1993. Il demandait que l’Opus Dei soit K incluse dans la liste des sectes dangereuses pour l’enfance ». On parle beaucoup du goût du pouvoir dont ferait preuve l’oeuvre, et de ses importants moyens financiers. On critique encore le manque de liberté frappant ses membres et l’aspect démodé de leur spiritualité : messe, communion, chapelet et méditation quotidiens, usage du cilice chez certains.

Messori reprend une à une les critiques, et y apporte les réponses qu’il a obtenues auprès des intéressés ou dans les archives mêmes de l’Oeuvre, pendant des mois de travail.

D’où -tient l’argent’

On sent que Vittorio Messori a été frappé par la qualité des actes posés par les membres de l’Opus Dei. Lors d’une visite au centre Elis qui forme des jeunes filles aux métiers hôteliers dans un quartier populaire de Rome, il a pu remarquer un recueillement et un sérieux peu communs dans les écoles professionnelles. Une vie spirituelle complète va de pair avec la formation technique, puisque les élèves doivent assister à des offices religieux qu’elles accompagnent d’une chorale célèbre. Liturgiquement, l’Oeuvre suit à la lettre les instructions papales.

A Pampelune (Espagne), c’est plutôt l’esprit de famille qui règne sur le campus universitaire, adjacent à un hôpital très réputé. Les 300 médecins qui y sont attachés ont renoncé à consulter simultanément dans un cabinet privé, les femmes de ménage n’ysont pas considérées comme des n employées H mais des K collaboratrices » et les couloirs y luisent comme les miroirs d’un grand hôte

“Tout ce que tu fa’ , fais-le bien. On ne peut offrir à Dieu des choses mal faites” disait Mgr Escrivâ, autre version du grand principe “sanctifier son travail et se sanctifier par lui”.

A la question « d’où vient l’argent », la réponse est simple: du travail accompli, puisque 97 % des membres de l’Opus Dei exercent une profession. Chacun est entré à l’Oeuvre solennellement en présence de deux témoins, et lui a apporté de l’argent. Certains numéraires, laïcs et célibataires, vivent dans un des centres de la Prélature. Ils versent alors leur salaire à leur centre, disposent du nécessaire pour leurs dépenses ordinaires mais demandent une autorisation pour l’extraordinaire, tel l’achat d’un vêtement. Les directeurs répondent aux réclamations « comme des pères et mères de famille nombreuse et pauvre ».

Messori évoque encore le clergé de la Prélature. La proportion des prêtres est immuable: 3% des effectifs. Aux vocations nettes et précoces, s’ajoutent chaque année quarante à cinquante ordinations d’anciens numéraires ou agrégés. Formés dans un séminaire interne, ils sont ordonnés s’ils l’acceptent pour les besoins de la Prélature. Ce sont des prêtres qui viennent du monde du travail mais qui ne seront jamais ni prétres ouvriers ni syndiqués.

© Joita unum